Dans une longue interview accordée au site Gabon Review, l’écrivain Kangni Alem répond à la question « Quel panorama dresser aujourd’hui de la littérature africaine en général ? « .
Extrait : » J’ai tendance à dire, ces derniers temps, que notre génération a été peut-être la dernière à mettre en avant la littérature Africaine en occident. Et qu’il est temps que la littérature africaine revienne en Afrique. Parce que nous avons perdu tous nos lecteurs Africains.
La tradition littéraire occidentale n’est pas la nôtre. La littérature est devenue un objet trop lointain pour les Africains. Alain Mabanckou c’est une belle réussite de notre génération. Vraiment, une très belle réussite. Mais je ne suis pas certain que lui-même est fier du très peu de lecteurs qu’il a dans son pays le Congo. Autant, il est célébré en France, autant au Congo beaucoup de gens ne le connaissent pas. Nous avons tous le même problème. Mais, il faut aussi reconnaitre que l’appareil de production du livre en Afrique est en panne. Si on doit ramener la littérature en Afrique, il faut tout repenser. Il nous faut de nouvelles maisons d’édition avec le soutien des Etats. Parce que la
littérature coûte chère et la production des livres coûte chère. Pas arriver à harmoniser le prix du livre, mais faire en sorte que le prix du livre soit subventionné parce que quand tu vends un livre au-delà 5000 francs CFA à Lomé, les gens râlent. Les nouveaux lecteurs sont à créer avec les nouveaux appareils de productions que nous devons mettre en place. Le Maghreb, avec l’Algérie, l’avait réussi à une période où l’Etat subventionnait énormément les éditeurs. En Algérie, tu as des livres qui coûtent à peine l’équivalent de deux mille francs CFA. Sans la subvention de l’Etat, on ne peut pas. C’est la nouvelle frontière, le nouvel enjeu pour la
littérature africaine.
Elle doit retrouver de nouveaux lecteurs et construire une véritable industrie du livre. Les jeunes auteurs africains, aujourd’hui, n’auront pas forcément la chance que nous avons eue « . Une interview en deux parties dont il finit la seconde partie par une note pleine de pessimisme en ce qui concerne l’avenir : » Chaque fois, je pense à la phrase
d’Aimé Césaire: « l’heure de nous-même a sonné » et je souris en disant « ah, le poète a rêvé, mais je ne suis pas certain que notre heure a sonné ». Mais, il faut encore peut-être espérer que l’heure de l’Afrique finira par sonner. Parce que c’est très important que ce continent prenne toute sa place dans le monde. C’est un continent majeur, mais notre point faible reste encore comment construire l’avenir. On est trop dans les schémas du passé. Il faut construire l’avenir.
Léguer de nouveaux outils de gouvernance à nos enfants. » Notons que l’écrivain a en projet un livre sur Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance du Togo, un livre cher à son cœur.
est un homme de lettres, écrivain, traducteur et critique littéraire togolais, né à Lomé en 1966. Également dramaturge et metteur en scène, il est diplômé en sémiologie théâtrale et a fondé en 1989 la Compagnie « Atelier Théâtre de Lomé ». En 2003, il reçoit le Grand prix littéraire d’Afrique noire, pour son ouvrage, Cola Cola jazz. Il est aussi auteur de plusieurs romans dont Esclaves, grand roman sur l’esclavage transatlantique.
Aujourd’hui, il enseigne à l’Université de Lomé et est conseiller et sherpa du chef de l’Etat à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).